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Vendredi 07 Aout 2009
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GARONNE ET CHARENTE. Contrairement au Rhône et à la Seine, les deux cours d'eau semblaient à l'abri d'une pollution aux PCB. Il n'en est rien, et depuis fort longtemps
La pollution au pyralène, un vieux souci
La centrale nucléaire de Golfech décline toute responsabilité dans la pollution de la Garonne aux PCB. (photo j.-L. borderie)
Les arrêtés préfectoraux qui interdisent la pêche, la commercialisation et la consommation des anguilles de la Charente et de la Garonne (lire notre édition d'hier) couvrent une vaste zone. Pour le fleuve Charente, celle-ci s'étend de la Touvre, un affluent dans le département de la Charente, jusqu'à l'estuaire en Charente-Maritime. Pour la Garonne, l'interdiction concerne la Gironde, le Lot-et-Garonne, mais aussi le Tarn-et-Garonne jusqu'au barrage de Malause, à quelques kilomètres en amont de la centrale nucléaire de Golfech.
Le problème est similaire sur les deux fleuves. Dans le cadre d'un plan de surveillance nationale, des anguilles prélevées dans le milieu naturel présentent des taux de contamination au pyralène supérieurs au seuil fixé par le règlement européen, soit 12 picogrammes (10-12 gramme) par gramme de poisson frais. « La contamination est faible mais existante. On ne sait pas du tout d'où elle peut venir », indique la direction des services vétérinaires du Tarn-et-Garonne. C'est bien là le problème.
Jusqu'à maintenant, on pensait les cours d'eau de la région plutôt épargnés par les PCB (polychlorobiphényles), des produits couramment rangés sous le vocable pyralène. Ceux-ci ont été utilisés sans retenue au cours du XXe siècle pour leurs qualités lubrifiantes et isolantes. « L'industrie électrique en a été grosse consommatrice. Mais on en trouvait aussi dans les peintures, par exemple », indique Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux 1 et expert auprès de l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments).
Un vieux problème ?
On savait la Seine et le Rhône très touchés. En août 2007, tous les poissons pêchés dans le Rhône ont ainsi été interdits à la consommation, de Lyon à la Méditerranée, révélant des taux de contamination dix fois supérieurs aux normes. Pas plus tard qu'hier, la préfecture de l'Isère a interdit la vente et la consommation des poissons pêchés dans certaines portions de l'Isère, du Drac et de la Romanche pour les mêmes motifs. Les fleuves de la région étaient, eux, exempts d'un environnement industriel aussi lourd que le « couloir de la chimie » rhodanien et certaines vallées alpines.
Dans le Sud-Ouest, le passage des clignotants au rouge ne date pourtant pas des arrêtés préfectoraux signés le mois dernier. Dès 2005, une analyse des polluants contenus dans une dizaine d'espèces de l'estuaire de la Gironde avait mis en évidence une contamination aux PCB dans la chair de l'anguille et de l'esturgeon sibérien, deux poissons gras, des prédateurs situés en bout de chaîne alimentaire.
« Dès cette information recueillie, on a commandé une étude complète sur la question à l'université de Bordeaux 1 et au Cemagref. Les résultats ont été clairs : il y avait un problème de contamination », dit-on au Smiddest, le Syndicat mixte pour le développement durable de l'estuaire de la Gironde. Les conclusions du rapport laissent effectivement peu de place au doute. « Les niveaux de contamination des anguilles dès l'âge de deux à trois ans posent un réel problème de consommation, donc de capture et de commercialisation », y est-il écrit.
Interdit depuis 1987
Dès l'année suivante, en 2007, un rapport du programme européen Indicang sur le bassin Gironde Garonne Dordogne confirme cet état de fait. Il existe un problème « en termes de sécurité sanitaire pour l'homme », précise le dossier. Difficile d'être plus clair. Pourtant, le « plan national d'actions » contre les PCB, concocté par le ministère de l'Écologie, indique qu'il y a « peu de contamination observée dans les bassins Loire-Bretagne et Adour-Garonne ». Ce plan n'est pas vieux. Il a été actualisé la semaine dernière, le 30 juillet très exactement...
Si l'origine du pyralène dans la Charente et la Garonne demeure indéterminée, elle remonte sans doute à de nombreuses années. En France, les PCB ont été prohibés dans de nombreux produits industriels (les encres et les adhésifs par exemple) dès 1979. Mais il a fallu attendre 1987 pour obtenir une interdiction complète de vente d'articles contenant du PCB. Ce qui n'a pas réglé le problème épineux (et coûteux) de leur élimination, notamment celui des fameux transformateurs électriques au pyralène.
La révélation d'une contamination des anguilles sur la Charente et la Garonne confirme surtout l'ampleur nationale de ce problème sanitaire. Dans la région, il faudra dorénavant rechercher les causes de la pollution. Les hypothèses sont légion. Mais les pistes seront difficiles à remonter.
A Golfech, on réfute les soupçons
D'aval en amont sur la Garonne, la contamination remonte les départements de la Gironde, du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne jusqu'au barrage de Malause, légèrement en amont de la centrale nucléaire de Golfech, mise en service au début des années 1990. Or les centrales nucléaires françaises hébergeaient des transformateurs au pyralène. Mais l'établissement tarn-et-garonnais réfute tout soupçon tourné vers lui. « Il est complètement exclu que la pollution au pyralène soit liée aux activités de la centrale. Les derniers transformateurs au pyralène ont été remplacés il y a trois ans. Et il n'y a jamais eu d'incident d'exploitation pendant leur durée de vie », affirme Philippe Lasnier, le chef de mission environnement de la centrale.
Il n'en est pas de même à la centrale nucléaire du Blayais, à Braud-et-Saint-Louis en Gironde, où deux transformateurs au pyralène ont explosé dans la salle des machines des tranches 3 et 4 en novembre 2005. C'est la seule autre centrale nucléaire au fil de la Garonne.
Dépôt sauvage à Bordeaux
Sur la Garonne, les origines de la pollution peuvent être multiples. En 1996, les policiers du SRPJ de Bordeaux avaient découvert un effarant spectacle à Bacalan, un quartier excentré de la ville sur la rive gauche du fleuve : 220 tonnes de pyralène, entreposées sans aucune précaution de stockage dans 831 bidons répartis dans l'enceinte de l'entreprise SREE. L'entreprise traitait du pyralène depuis les années 80, sans aucune garantie pour la protection des sols. Plus récemment, l'état d'abandon de l'entreprise La Cornubia a créé de forts remous dans le quartier de La Bastide, sur la rive droite de Bordeaux. Fermé en 2004, l'établissement recelait des produits dangereux, dont du pyralène. À ce jour, le problème reste pendant. Les exemples de ce type ne manquent pas. Des déversements accidentels dans le fleuve ont pu se produire par le passé. Des enfouissements illégaux également. Du pyralène est peut-être en train de percoler dans la nappe phréatique.
Auteur : Jean-Denis Renard